• Nie Znaleziono Wyników

One can do very many important and valuable things without theory […], but thinking is not among them.

Where there is no theory, there is no active thought ; there is only impression.

Hayden White200

Le terme "roman", apparu dans l'histoire littéraire au 12e siècle, signifie récit imaginaire – d'abord en vers, puis en prose à partir du 16e siècle – où se côtoient, sur fond de merveilleux, à l'instar des légendes de la littérature latine, des personnages idéalisés, présentés comme des êtres réels. Le but du récit de fiction est d'introduire le lecteur dans l'espace imaginaire, tout en lui donnant l'impression qu'il évolue dans celui de la réalité. En dépit des opinions répandues, il semblerait que les premiers récits de fiction n'ont pas l'unique mission de remplacer l'épopée décadente. Ils s'inspirent autant de l'historiographie florissante, en adoptant ses formes et son style : narrations, descriptions, dialogues, réflexions, portraits des protagonistes – tout en essayant de s'approprier la notion de

"réalité" associée au discours historique201. Au Moyen Age les auteurs de récits de fiction multiplient et intensifient les déclarations de véracité et d'historicité : ils imitent savamment les stratégies des historiens, se présentent comme éditeurs de manuscrits voire compilateurs de textes laissés par les témoins des événements. Tandis que les romances passent

200 H. White, Figural Realism. Studies in the Mimesis Effect, The John Hopkins University Press, 1999, p. viii.

201 "Todo parece avalar como una ley general, válida para todas las literaturas, una secuencia diacrónica del tipo epopeya-historia-novela en lo referente a la aparición de los géneros literarios." – écrit D. Villanueva, "Historia, realidad y ficción en el discurso narrativo" in El polen de ideas, Barcelona, PPU, 1991, p. 491. Cf. également C. García Gual, Los orígenes de la novela, Madrid, Istmo, 1972 399 p. ; Figuras helénicas y géneros literarios, Madrid, Mondadori, 1991, 277 p.

pour "historiques" et "vraies" – les récits historiographiques de la même époque débordent d’événements merveilleux, de héros légendaires et de maintes interventions surnaturelles.

Or, le Moyen Age cède à la Renaissance, les goûts évoluent et les priorités ne sont plus les mêmes. Le public devient moins crédule, tandis que les savants vitupèrent contre les récits de fiction, condamnent les livres de chevalerie et s'indignent des historiographies fantastiques et imaginaires. Le climat est propice aux grands débats sur la vérité poétique, la légitimité de la fiction ou l'utilité de l'art : c'est alors qu'on accuse les récits de fiction de mensongers au nom de la défense de la vérité historique.

Au milieu du conflit qui oppose de plus en plus ouvertement la "vérité" de l'histoire et le "mensonge" de la fiction, apparaît El Quijote (1605 et 1615) : une œuvre résolument novatrice, qui souligne ironiquement la fin d'une époque et ouvre de nouvelles perspectives.

L'histoire et la fiction forment un ménage difficile. Leur séparation semble irrévocablement consommée, lorsqu'au 18e siècle se produisent d’intéressants changements. D'une part, on voit surgir un nouveau type de fiction : le roman moderne à prétention réaliste, aussi sensible à la dimension psychologique qu'aux aspects sociaux et à la vie quotidienne.

Autrement dit, le roman qui se veut une histoire du présent, un reflet fidèle de la société contemporaine. D'autre part, en parallèle, les romances d'antan renaissent sous la forme du "roman gothique". Au début du 19e siècle, tous les ingrédients sont donc prêts pour faire éclore le genre qui nous intéresse en premier lieu : le roman historique. Celui-ci intègre rapidement des éléments très variés et hétérogènes :

o la tradition du romance médiéval (la composition de l'intrigue, les stratégies narratives, les épisodes fantastiques...) ;

o les recours du roman gothique (une prédilection pour les paysages nocturnes, labyrinthes, cachots etc.) ;

o la tradition cervantine ainsi que les techniques du roman social (le costumbrisme, la construction du narrateur diégétique et d'un univers fondé sur des informations historiques) ;

o des éléments propres à la tradition locale (légendes, contes traditionnels, chansons populaires, ballades et romances), c’est à dire les richesses de la tradition orale.

Cette diversité des référents génériques participe à la réalisation d'un seul projet : représenter d'une façon vraisemblable une époque passée, de préférence moyenâgeuse, tout en remplissant une fonction historico-nationale, en accord avec l'historiographie de l'époque du Romantisme.

Le roman historique porte la marque de sa double nature jusque dans son nom. Il tient à la fois du roman et de l'histoire, et on ne peut le définir qu'au point de rencontre des deux. Mais il n'est pas aisé de fournir une définition invariante de notions aussi variables que le roman et l'histoire, et bien des spécialistes travaillent sur cette question depuis bientôt deux siècles.

La diferencia entre la novela histórica y la historia no reside en el carácter de los hechos contados ni en la narración, sino en la configuración que se les conceden en el discurso, tanto a los hechos como al propio discurso. La historia asume que maneja datos irrefutables, y por ello se dedica [...] a ordenarlos de una forma lógica, consecuente, que explica el significado de esos hechos, entendidos desde una forma de discurso que denominamos histórica. [...] Por otro lado, la novela crea un tipo de discurso en el que la lógica empleada difiere de la lógica de los hechos. Utiliza una lógica del relato, una lógica que en ocasiones permite dar saltos, yuxtaponer, obviar, lo que le parece necesario202.

La clarté des critères séparant la littérature et l'histoire s'obscurcit si l'on admet que tous les concepts concernés – vérité, vraisemblance, réalité, fiction etc. – constituent des catégories pragmatiques, relatives à la communauté qui les emploie ; leur acception varie donc systématiquement dans chaque période de l'histoire culturelle. De là viennent les difficultés à tracer une limite entre la fiction et le réel historique, entre le sujet, la forme et le style (propre), difficultés sensibles au 4e siècle comme au 19e siècle, qu'il s'agisse des romans grecs tardifs ou des romans historiques naissants. Car c'est au croisement de ces oppositions que le roman est né, tandis que les subtilités de mimésis se sont progressivement retranchées

202 G. Guillón, "El discurso histórico y la narración novelesca" in La novela histórica a finales del siglo XX, actas del V seminario internacional del instituto de semiótica literaria y teatral de la U.N.E.D (sous la dir. de M. Garcia-Page, F. Gutierrez-Carbajo, J.

Romera-Castillo, José), Madrid, Visor, 1996, p. 71-73.

dans les paroxysmes de la "vérité" et du "mensonge"203. Or rappelons-nous qu'Aristote, dans sa fameuse distinction entre la poésie et l'histoire, prenait en compte bien d'autres critères !

La moins mauvaise définition du roman est sans doute une définition d'inspiration aristotélicienne : c'est la représentation par un narrateur d'hommes agissants et ce sont ces deux traits – représentation narrative et hommes en action –qui ont de plus en plus séparé le roman de l'histoire, au fur et à mesure que celle-ci a entendu son enquête en deçà de l'action humaine204.

La distinction que propose Aristote est plus profonde et plus juste que l'application de trait de fiction (vrai/faux) : le classique n'oppose pas le vrai au faux ou au non-sens, mais ce qui est arrivé à ce qui pourrait arriver. Or, le vrai pouvant n'être pas "vraisemblable", il n'en est pas moins possible et l'on aboutit ainsi à la conclusion que l'intrigue en elle-même est neutre par rapport à l'opposition du réel et de la fiction. C'est une hypothèse extrêmement importante : le même récit, la même phrase peuvent, selon les cas, être perçus comme historiques ou comme non historiques. Les attitudes propositionnelles, les systèmes de croyance des producteurs et des récepteurs – qui ne sont pas nécessairement les mêmes – font que la même intrigue sera perçue tantôt comme histoire, tantôt comme roman.

¿Qué diferencia hay, entonces, entre una ficción y un reportaje periodístico o un libro de historia ? ¿No están compuestos ellos de palabras ? ¿No encarcelan acaso en el tiempo artificial del relato ese torrente sin riberas, el tiempo real ?

– se demande alors Mario Vargas Llosa, auteur d'œuvres de fiction comme d'œuvres tenues pour romans historiques. Et il répond :

La respuesta es : se trata de sistemas opuestos de aproximación a lo real. En tanto que la novela se rebela y transgrede a la vida, aquellos géneros no pueden dejar de ser sus siervos. La noción de verdad o mentira funciona de manera distinta en cada caso. Para el periodismo o la historia la verdad depende del cotejo entre lo escrito

203 Remarquons qu'aujourd'hui la doxa, relayée par le langage courant, tend toujours à assigner le vrai à l'histoire et le mensonge au roman : un fait avéré est qualifié de "fait historique", tandis qu'un fait invraisemblable – c'est "du roman".

204 J. Molino, "Histoire, roman, formes intermédiaires", in L’histoire comme genre littéraire, Mesure, n° 1, Paris, José Cortí, 1989, p. 73.

y la realidad que lo inspira. A más cercanía, más verdad, y a más distancia, más mentira205.

Au contraire, parmi les éléments indispensables pour qu'un roman dise

"vrai", l'auteur péruvien cite la capacité de persuasion, la force communicative de la fantaisie, l'habilité de la magie : en somme, chaque bon roman dit la vérité et chaque mauvais roman ment. Le critère vérité / mensonge s'avère insuffisant et trompeur : la "vérité" ou le "mensonge", dans le contexte spécifique du roman, deviennent des catégories esthétiques.

La recomposición del pasado que opera la literatura es casi siempre falaz juzgada en términos de objetividad histórica. La verdad literaria es una y otra la verdad histórica. Pero, aunque está repleta de mentiras – o, más bien, por ello mismo – la literatura cuenta la historia que la historia que escriben los historiadores no sabe ni puede contar. Porque los fraudes, embaucos y exageraciones de la literatura narrativa, sirven para expresar verdades profundas e inquietantes que sólo de esta manera sesgada ven la luz206.

Vargas Llosa, dont l'engagement dans la vie politique et sociale n'est mystère pour personne, remarque d'ailleurs qu'une société ouverte sait conserver l'indépendance de l'histoire et de la fiction, tandis qu'une société fermée est soumise au pouvoir politique qui contrôle et limite les deux.

Dans les régimes totalitaires, l'histoire est amenée à mentir et la fiction à servir les vérités de l'état. Or, la vérité est une notion indispensable pour l'histoire, tout comme le mensonge romanesque peut être libérateur et créateur.

205 M. Vargas Llosa, La verdad de las mentiras, op. cit., p. 10.

206 Ibidem, p. 14.

Chapitre I