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LE NOUVEAU ROMAN HISTORIQUE EN AMERIQUE LATINE

3.1. Les prémisses

3.1.6. Superposition des temps

D'autre part, la superposition de différents temps sur le présent historique de la narration produit plusieurs interférences, non seulement avec le passé, mais également avec le futur, sous forme d'anachronismes intentionnels, si fréquents chez Posse, Roa Bastos o Fuentes. C'est pour cela que les modalités d'écriture du nouveau roman historique sont aussi diverses, notamment la constante préoccupation pour le langage et l'usage de différentes formes expressives (archaïsme, pastiche, parodie) afin de démystifier et reconstruire le passé.

En guise de conclusion, Aínsa suggère que c'est l'écriture parodique qui nous donne la clef permettant de synthétiser le phénomène du nouveau roman historique, et sa recherche d'un passé défragmenté par la rhétorique et les mensonges de l'histoire officielle :

El arte da voz a lo que historia ha asesinado. El arte da voz a lo que la historia ha negado, silenciado o perseguido. El arte rescata la verdad de manos de las mentiras de la historia... 290

– selon la célèbre constatation de Carlos Fuentes.

3. 2. La théorie

Finalement, en 1993 le critique américain Seymour Menton publie La Nueva Novela Histórica de la América Latina 1979 – 1992, premier ouvrage consacré exclusivement à l'étude du nouveau genre, et qui deviendra le point de référence. La théorie présentée dans le premier chapitre se trouve immédiatement illustrée dans les chapitres suivants consacrés à l'étude approfondie de certains romans historiques latino-américains (y compris les romans brésiliens) plus ou moins connus, qui se caractérisent par la présence – ou plutôt par l'absence – des traits jugés distinctifs pour le nouveau roman historique. Dans son livre de Menton n'hésite pas à émettre des jugements personnels par rapports à ses lectures, ni à établir une liste arbitraire des romans historiques contemporains qu'il

290 C. Fuentes, Cervantes o la crítica de la lectura, Joaquín Mortiz, México, 1976, p. 82.

juge intéressants et dignes de l'attention de ses lecteurs291. Il estime d'ailleurs que tel devrait être le rôle d'un bon critique littéraire : grâce à une érudition beaucoup plus grande que celle de lecteurs ordinaires, le critique est capable d'inscrire chaque œuvre littéraire dans un paysage plus vaste et de déterminer celles qui s'y distinguent réellement292.

Les trois premières analyses de Menton portent sur La guerra del fin del mundo (1981) de Mario Vargas Llosa comme une bataille contre le fanatisme, sur Los perros del paraíso (1983) d'Abel Posse en tant que dénonciation du pouvoir politique, et sur Noticias del Imperio (1987) de Fernando Del Paso, ouvrage canonisé immédiatement comme l'un des meilleurs nouveaux romans historiques. Le chapitre suivant présente quatre œuvres littéraires ayant pour protagoniste Simón Bolívar. Le chef-d'œuvre de Gabriel García Márquez, El general en su laberinto (1989) est comparé ici avec la source de son inspiration, le conte El último rostro (fragmento) d'Alvaro Mutis293, avec La ceniza del Libertador (1987) de Fernando Cruz Kronfly, jugé par Menton moins intéressante, et enfin avec Sinfonía desde el Nuevo Mundo (1990) de Germán Espinosa, roman écrit en moins de deux mois, pensé comme un projet de scénario pour un film, et que Menton critique sévèrement.

291 Menton fait référence à son ouvrage précédent pour résumer ses critères d'évaluation :

"En el capítulo final de mi libro La novela colombiana : planetas y satélites (1978), presento una guía teórica para distinguir entre las novelas planetas y las novelas satélites.

El título del capítulo, "Manual imperfecto del novelista", parodia el decálogo bien conocido de Horacio Quiroga, "Manual del perfecto cuentista" (1925). Mis nueve (10, no) criterios para evaluar una novela son : 1. unidad orgánica ; 2. tema trascendente ; 3.

argumento, trama o fábula interesante ; 4. caracterización bien hecha ; 5. constancia de tono ; 6. estrúcturas y técnicas estilísticas apropiadas para el tema ; 7. lenguaje creativo ; 8. originalidad ; 9. repercusión sobre obras posteriores. (S. Menton, La Nueva Novela Histórica de la América Latina 1979 - 1992, México, Fondo de Cultura Económica, 1993, p. 150-151 ; voir aussi La novela colombiana : planetas y satélites, Bogotá, Plaza y Janés, 1978, 394 p.

292 Ibidem, p. 148-149.

293 A. Mutis, "El ultimo rostro (fragmento)", Obra literaria, Bogotá, Procultura, 1985, vol. II, p. 101-118. Il faut noter que le mot "fragmento" fait partie du titre, tout comme le conte devait faire partie d'un roman : projet que Mutis abandonne. Cf. aussi A. Mutis,

"Bolívar and García Márquez", in Review : Latin American Literature and Arts, n° 43 (VII-XII 1990), p. 64-65.

Respiración artificial (1980) de Ricardo Piglia mérite un chapitre à part, bien que Menton soit obligé d'élargir ses propres critères par rapport et au roman historique et au nouveau roman historique. Le chapitre sur le roman historique juif, peut-être le plus original et aussi le plus personnel – vient compléter le panorama, avec des titres moins médiatisés, comme Aventuras de Edmund Ziller en tierras del Nuevo Mundo (1977) de Pedro Orgambide, A estranha nação de Rafael Mendes (1983) de Moacyr Scliar, 1942 : vida y tiempos de Juan Cabezón de Castilla (1985) de Homero Aridjis ou, roman historique lyrique, Tierra adentro (1977) d'Angelina Muñiz. Le dernier chapitre offre une étude polyphonique de La campaña (1990) de Carlos Fuentes, analysé en tant que roman néo-criolliste, roman archétypal, roman dialogique (carnavalesque, bachtinien…), roman intertextuel, parodie du roman historique populaire et nouveau roman historique. En terminant ce chapitre, Menton ne résiste pas à la tentation d'offrir deux conclusions possibles à son livre, à l'image de la dimension dialogique et carnavalesque des romans qu'il vient d'étudier.

Un autre trait différencie La Nueva Novela Histórica de la América Latina 1979 – 1992 d'autres ouvrages théoriques : bien avant d'exposer sa théorie littéraire, Menton souligne son attachement aux données empiriques bien plus qu'aux divagations théoriques et aux manifestes littéraires. Voilà pourquoi au lieu de placer dans l'appendice les titres des nouveaux romans historiques qui lui semblent les plus représentatifs, il transforme l'appendice en "prépendice" qui précède donc toute analyse. Il me semble utile d'inclure et de commenter ici la liste établie par Menton, dans la mesure où elle constitue pour nous une précieuse base de données ainsi que, sans doute, un point de référence obligé pour d’autres chercheurs. Entre 1949 et 1992, Menton répertorie 56 nouveaux romans historiques, dans l'ordre chronologique :

1949 : Alejo Carpentier (Cuba) avec El reino de este mundo, jugé comme l'œuvre fondatrice du nouveau genre ;

1962 : toujours Carpentier, avec El siglo de las luces, qui met en scène Victor Hugues, un oublié de l'Histoire ;

1969 : Reinaldo Arenas (Cuba) avec El mundo alucinante, variation hallucinante des mémoires de Fray Servando Teresa de Mier294 ;

294 Cf. Fray S.T. de Mier, Memorias (ed. A. Castro Leal), México, Porrúa, 1971, 2 vols.

1972 : Angelina Muñiz (Mexique295) avec Morada interior, réinterprétation de la vie de la Sainte Thérèse ;

1974 : encore Carpentier, avec Concierto barroco, mettant en scène Vivaldi, Haendel, Scarlatti, Stravinski et Armstrong ; Augusto Roa Bastos (Paraguay) avec Yo el Supremo, où "el Supremo" incarne le dictateur paraguayen Gaspar Rodríguez de Francia ; et Edgardo Rodríguez Juliá (Puerto Rico) avec La renuncia del héroe Baltasar, collection de conférences sur le passé colonial de Porto Rico, données par l'antihéros noir, Baltasar Montañez ;

1975 : César Aira (Argentina) avec Moreira, qui dédie quatre vingt et une pages pleines d'anachronismes et de commentaires métafictionnels à un fameux bandit argentin des années 1870-1880 ; et Carlos Fuentes (Mexique) avec son opus magnum, roman total, Terra Nostra ;

1976 : Márcio Souza (Brésil) avec Gálvez imperador de Acre, où un trafiquant de caoutchouc se lance à la conquête des terres d'Acre et veut se faire couronner (en vertu d'un proverbe portugais du 15e siècle selon lequel

"Au-delà de l'équateur tout est permis"…)

1977 : Pedro Orgambide (Argentine) avec Aventuras de Edmund Ziller en tierras del Nuevo Mundo, un écho à la figure du Juif errant dans le nouveau contexte du roman historique judéo-latino-américain ;

1978 : Abel Posse (Argentine) avec Daimón, réécriture de la chronique des découvertes géographiques avec un sensible changement de point de vue296 ;

1979 : Antonio Benítez Rojo (Cuba) avec El mar de las lentejas, deuxième partie de sa trilogie sur les Caraïbes ; et à nouveau Carpentier avec El arpa y la sombra, où l'ombre frustrée de Christophe Colomb assiste, à ses risques et périls, à son propre procès de canonisation ;

1980 : Antonio Larreta297 (Uruguay) avec Volavérunt qui dévoile les secrets de la cour de Carlos IV, les passions de Goya, les ambitions de

295 Née en France en 1936, fille de Juifs espagnols exilés en France et émigrés à Cuba, puis au Mexique, A. Muñiz est naturalisée mexicaine à partir de 1942.

296 "El 12 de Octubre de 1492 fue descubierta Europa y los europeos por los animales y hombres de los reinos selváticos." A. Posse, Daimón (1978), Barcelona, Argos Vergara, 1981, p. 28.

297 Antonio Larreta est un pseudonyme de Gualberto Rodríguez Ferreira, acteur, scénariste, cinéaste et journaliste de télévision, né à Montevideo en 1922, qui réside en Espagne depuis 1972.

Godoy, le corps de son amante Pepita Tudó (la Maja desnuda) et même le pubis de la Duchesse d'Albe298 ; Martha Mercader (Argentine) avec Juanamanuela, mucha mujer, ouvrage inspiré de la biographie de la romancière argentine du 19e siècle, Juana Manuela Gorriti ; Alejandro Paternain (Uruguay) avec Crónica del descubrimiento, dans lequel un groupe d'Indiens dirige ses pirogues vers le Nouveau Monde, c'est-à-dire l'Europe ; Ricardo Piglia (Argentine) avec Respiración artificial, qui dénonce la dictature militaire 1976-1979 en Argentine sous les apparences d'une investigation autour d'une rencontre apocryphe entre Franz Kafka et Adolf Hitler en 1910 à Prague ; et Márcio Souza (Brésil) avec Mad Maria, qui n'est rien d'autre qu'une locomotive avançant sur le chemin de la

"civilisation" (lire : destruction) à travers la forêt amazonienne, au rythme de la construction d'une voie ferrée inutile ;

1981 : Silviano Santiago (Brésil) avec Em liberdade, une tentative de réécrire l'Histoire du Brésil à l'époque de l'Estado Nôvo de Getúlio Dornelles Vargas (1883-1954), au travers d'un pastiche du journal intime de l'écrivain Graciliano Ramos (1892-1953) ; et Mario Vargas Llosa (Pérou) avec La guerra del fin del mundo, qui retrace l'histoire de la rébellion de Canudos dirigée par Antônio Conseilheiro ;

1982 : Germán Espinosa (Colombia) avec La tejedora de coronas ; où la belle franc-maçonne Genoveva Alcocer participe activement à la vie politique et culturelle de l'Amérique et de l'Europe du 18e siècle ;

1983 : Pedro Orgambide (Argentine) avec El arrabal del mundo, première partie de la trilogie du Río de la Plata299 ; Abel Posse (Argentine) avec Los perros del Paraíso, une réécriture du choc entre l'Ancien et le Nouveau Monde, entre les dieux barbus et les habitants du paradis terrestre, lentement transformé en enfer ; Denzil Romero (Vénézuela) avec La tragedia del generalísimo, sur les péripéties du héros révolutionnaire Francisco Miranda ; et Juan José Saer (Argentine) avec El entenado, les mémoires fictives de Francisco del Puerto sur sa captivité de dix ans dans une tribu indigène ;

298 Rien d'étonnant qu’une trame aussi excitante soit portée à l'écran par le réalisateur espagnol Bigas Luna (Voláverunt, 1999).

299 La trilogie, qui contient El arrabal del mundo (1983), Hacer la América (1984) et Pura memoria (1985), jugés par Menton comme plus traditionnels, démarre avec l'arrivée des premiers immigrants et continue jusqu'à la fin du premier gouvernement de Perón.

1984 : Martín Caparrós (Argentine) avec Ansay o los infortunios de la gloria ; Edgardo Rodríguez Juliá avec La noche oscura del Niño Avilés ; et João Ubaldo Ribeiro (Brésil) avec Viva o povo brasileiro ;

1985 : à nouveau Fuentes, avec Gringo viejo ; et Francisco Simón (Chile) avec Martes tristes ;

1986 : Márcio Souza avec O brasileiro voador300 ;

1987 : Reinaldo Arenas avec La loma del ángel ; Fernando Del Paso (Mexique) avec Noticias del imperio, 668 pages d'une fresque totalisante sur le passé mexicain tel que le reflète la mémoire de Carlota la loca, toujours au courant des nouvelles de l'empire de Maximilien, son époux exécuté ; Denzil Romero avec Grand tour ; et Carlos Thorne (Pérou) avec Papá Lucas ;

1988 : Tomás de Mattos (Uruguay) avec Bernabé, Bernabé ; Juan Carlos Legido (également Uruguay) avec Los papeles de los Ayarza ; Sergio Ramírez (Nicaragua) avec Castigo divino ; et Denzil Romero avec La esposa del Thorne ;

1989 : Arturio Arias (Guatemala) avec Jaguar en llamas ; Napoleón Baccino Ponce de León (Uruguay) avec Maluco ; Saúl Ibargoyen (Uruguay) avec Noche de espadas ; Ignacio Solares (Mexique) avec Madero, el otro ; et José J. Veiga (Brésil) avec A casca de serpiente ; 1990 : Fuentes avec La campaña, qui relate la campagne amoureuse et militaire d'un héros fictif, Baltasar Bustos ; et Herminio Martínez (Mexique) avec Diario maldito de Nuño de Guzmán, où le conquistador Nuño Beltrán de Guzmán préside la première Real Audiencia de México et rêve de fonder sa propre Guzmania ;

1991 : Antonio Elio Brailovsky (Argentine) avec Esta maldita lujuria qui raconte l'expédition de 1782 envoyée à la recherche d'une ville mythique, la Cité enchantée des Césars ; Haroldo Maranhão (Brésil) avec Memorial do fim (A morte de Machado de Assis) ; et Julián Meza (Mexique) avec La huella del conejo ;

pour terminer, 1992 : Herminio Martínez avec Las puertas del mundo. Una autobiografía hipócrita del Almirante ; Álvaro Miranda (Colombie) avec La risa del cuervo ; Abel Posse (Argentine) avec El largo atardecer del caminante, où le conquistador aux pieds nus, Alvar Núñez Cabeza de la

300 Traduit en français par L. Strouc: M. Souza, Le Brésilien volant : roman plus-léger-que-l'air, Paris, Belfond, 1988, 282 p.

Vaca, livre une glose lucide et très contemporaine de ses Naufragios ; Roa Bastos avec Vigilia del Almirante, biographie apocryphe de Colomb ; Gustavo Sainz (Mexique) avec Retablo de inmoderaciones y heresiarcas, et Paco Ignacio Taibo II (Mexique) avec La lejanía del tesoro – variations sur le trésor mythique de Benito Juárez, qui n'a peut-être jamais existé.

La liste des nouveaux romans historiques établie par Seymour Menton est plutôt hétérogène. A cette sélection s'ajoute une autre liste de plus de trois cents titres de romans historiques plus traditionnels publiés en Amérique latine à la même époque. A ce propos, Menton n'hésite pas à souligner que la quantité des publications (symptôme de la popularité du genre en général, surtout entre 1979 et 1992) ne leur assure pas forcément la survie dans le monde éditorial. En effet, aujourd'hui seuls quelques titres résistent à l'oubli, et il semble bien qu'ils le doivent moins à leur aspect orthodoxe qu'aux innovations qu'ils proposent. De cette deuxième liste de Menton nous pourrions rappeler ici Bomarzo (1962) de Manuel Mujica Láinez (Argentine), Recuerdos del porvenir (1963) de Elena Garro (Mexique), Maladrón (1969) de Miguel Angel Asturias (Guatemala), Lope de Aguirre, príncipe de la libertad (1979) de M. Otero Silva ; La guerra del unicornio (1983) de Angelina Muñiz ; 1492 : vida y tiempos de Juan Cabezón de Castilla (1985) de Homero Aridjis (Mexique), Maldito amor (1986) de Rosario Ferré (Porto Rico), Solitaria Solidaria (1990) de Laura Antillano (Venezuela), La visita en el tiempo (1990) de Uslar Pietri, Son vacas, somos puercos (1991) de Carmen Boullosa (Mexique). Finalement, cette seconde liste établie par Menton s'avère elle aussi assez hétérogène, comme le prouve la présence de deux best-sellers de Gabriel García Márquez : El amor en los tiempos del cólera (1985) et El general en su laberinto (1989) – lesquels ne sont pas non plus des romans historiques traditionnels.