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Entre "el romance histórico" et le roman historique

LA TRADITION DU ROMAN HISTORIQUE EN AMERIQUE LATINE

2.2. Entre "el romance histórico" et le roman historique

Ce n'est qu'à partir des années 40 du 19e siècle, comme le souligne Seymour Menton dans l'introduction de ses analyses sur le nouveau roman historique263, que paraît en Amérique latine une série de romans historiques, écrits sous l'influence romantique, et dont nous pouvons rappeler quelques titres suggestifs : Ingermina (1844) de Juan José Nieto (Colombia) ; El oidor Cortés de Meza (1845) de Juan Francisco Ortiz (Colombia) ; Guatemozín último emperador de Méjico (1846) de Getrudis Gómez de Avellaneda (Cuba), une de rares femmes écrivant des romans historiques au 19e siècle ; La novia del hereje (1845-1850) de Vicente Fidel López (Argentina) ou La hija del judío (1848-1850), de Justo Sierra

262 Il est intéressant de savoir qu'il existe en France, au Musée de l'Homme à Paris, un exemplaire de ce roman : Jicotencal [novela histórica mexicana de la época de la conquista], Philadelphie, Imprimerie de G. Stavely, 1826, 2 vol.

263 Cf. S. Menton, La nueva novela histórica de la América Latina 1979-1992, México, Fondo de Cultura Económica, 1993, 311 p.

O'Reilly (Méxique)264. Quelques années plus tard, au Brésil, José de Alencar publie O guaraní (1857) et Iracema (1865).

Les romans historiques jouissaient en Amérique latine d'une grande popularité, et cela même à l'époque où, en Europe, Balzac et Dickens avaient depuis longtemps remplacé Scott. Citons l'exemple de l'écrivain chilien Alberto Blest Gana, qui dans les années 1860 introduisit le roman réaliste, pour publier trente ans plus tard un roman historique pur jus, intitulé Durante la reconquista. En général, le terme espagnol le plus employé alors en Amérique latine pour définir le nouveau genre romanesque combinant l'histoire et la fiction est celui de "romance histórico" – même si cette appellation prête à confusion avec la forme poétique traditionnelle, d'autant qu'à la même période (1841) en Espagne Angel de Saavedra, le duc de Rivas (1791-1865), publiait ses fameux Romances históricos265. Et cependant elle restera l'appellation la plus répandue et la plus populaire : par exemple, en 1845 ; après la publication de Facundo o civilización y babarie de Domingo Faustino Sarmiento (1811-1888), le journal chilien, El Siglo, parle d’une "especie de romance histórico"266 ; tandis que José Mármol, auteur du roman historique argentin le plus connu et étudié, Amalia, appelait lui-même son œuvre "romance histórico"267.

Il est toutefois impossible de nier que la discussion autour d'Amalia concerne également son statut même de roman historique. Bien que tous les épisodes majeurs de la narration correspondent fidèlement aux événements historiques de l'époque de la dictature de Juan Manuel de Rosas, certains critiques émettent des réserves sous prétexte que Mármol raconte une époque qu'il a bel et bien connue lui-même. Voilà pourquoi

264 Il en existe une édition disponible à la BU de Lille : J. Sierra O'Reilly, La hija del judío (éd. & prologue A. Castro Leal), México, Porrúa, 1959, 2 vol.

265 Duque de Rivas, Romances históricos (éd. S. García Castañeda), Madrid, Catedra, 1987, 476 p.

266 Cf. El Siglo, l'édition du 12 mai 1945.

267 Exilé à Montevideo pendant la dictature de Rosas, J. Mármol avait publié des épisodes d'Amalia dans le journal El Paraná, où le 25 octobre 1852 il annonçait modestement :

"…Tocábamos al fin de la publicación de Amalia, nuestro primer romance histórico y el primero también que se haya escrito en la América del Sur, cuando la caída de Rosas nos hace volver al país."

Anderson Imbert, comme Amado Alonso cité auparavant, refuse à Amalia le statut de roman historique :

El autor está a un paso de las cosas que describe o ha vivido esa realidad y, por lo tanto, no la ha visto con ojos de historiador. Los episodios de sus novelas adquirieron con los años una gran significación histórica ; pero ya dijimos que una novela es histórica, no porque presente una época pasada para nosotros, lectores, sino una época que ya era pasada para el novelista. Caso típico de novela política, no histórica, es la Amalia, del argentino José Mármol268.

Il nous semble pertinent de citer cette opinion, non seulement parce qu'elle émane d'un éminent spécialiste, mais surtout parce qu'elle reflète assez bien un point de vue très précis sur ce qu'un roman historique doit être ou pas. Notons toutefois la fragilité de certains arguments : par exemple, dans ses réflexions bien théoriques sur ce que représente le passé, Alonso ne se soucie ni de la notion du passé récent, ni de celle de l'histoire immédiate. D'autre part, il me paraît fondamental de bien différencier la stratégie, les objectifs et l'approche de l'historien et celle de l'écrivain, qui forcément n'est pas la même. D'ailleurs, Mármol en avait, semble-t-il, pleinement conscience lorsqu'il commentait ainsi son approche :

La mayor parte de los personajes históricos de esta novela existen aún, y ocupan la misma posición política o social que en la época en que ocurrieron los sucesos que van a leerse. Pero el autor, por una ficción calculada, supone que escribe su obra con algunas generaciones de por medio entre él y aquéllos. Y es ésta la razón por la que el lector no hallará nunca en presente los tiempos empleados al hablar de Rosas, de su familia, de sus ministros, etc.

El autor ha creído que tal sistema convenía tanto a la mayor claridad de la narración cuanto al porvenir de la obra, destinada a ser leída… por las generaciones venideras, con quienes entonces armonizará perfectamente el sistema, aquí adoptado, de describir en forma retrospectiva personajes que viven en la actualidad269.

Cette explication, écrite en 1851, concerne donc des événements arrivés onze ans plus tôt, en 1840. Cette distance temporelle est ensuite délibérément renforcée par l'auteur, grâce à une tactique que nous

268 E. Anderson Imbert, "Notas sobre la novela histórica en el siglo XIX" in Estudios sobre escritores en América, Buenos Aires, Raigal, 1954, p. 40.

269 J. Mármol, "Explicación", in Amalia, Bogota, La Oveja Negra, 1986, t. I, p. 5.

pourrions appeler une "mise en passé". Non seulement Mármol est parfaitement conscient d'écrire un roman historique, mais il a aussi l’art de tirer profit des techniques narratives romanesques, pour atteindre son objectif : créer une fiction "calculée" qui serait en même temps un reflet du passé.

Le fait d'avoir mentionné Facundo et Amalia nous oblige à ouvrir une parenthèse pour évoquer un type bien particulier du roman de l'histoire, et particulièrement présent en Amérique latine : il s'agit des œuvres qui s'intéressent aux personnages des dictateurs hispano-américains. Dans le corpus de ce qu'il appelle "novela del dictador", Domingo Miliani distingue :

o des romans sur une dictature particulière, qui prennent pour l'objet de la narration un système dictatorial concret (novelas de una dictadura) ;

o des romans sur un dictateur particulier, concentrés sur une figure dictatoriale concrète (novelas de un dictador) ;

o des romans sur la dictature et/ou la figure du dictateur en tant que systèmes symboliques et abstraits, qui visent à dégager les mécanismes communs à tous les pays et à tous les continents (novelas del dictador)270.

Après Facundo (1845) de Sarmiento et Amalia (1852) de Mármol, la "novela del dictador" gagne en popularité surtout au 20e siècle. Citons El hombre de hierro (1905)271 de Rufino Blanco Fombona et El cabito (1908) de Pedro María Morantes (pseudonyme Pío Gil) sur la dictature de Cipriano Castro au Venezuela ; La mitra en la mano (1927) et La bella y la fiera (1931), également de Blanco Fombona, sur un autre dictateur vénézuélien, Juan Vicente Gómez ; ou encore Odisea de Tierra Firme (1931) et Los tratos de la noche (1955) de Mariano Picón Salas, qui évoquent des dictatures fictives dans un pays tropical, mais avec des

270 Cf. D. Miliani, "El Dictador : objeto narrativo en Yo el Supremo", in Revista de Crítica Literaria Latinoamericana, Lima, abril 1976, p. 103-119.

271 A. Madrid dans son ouvrage Novela Nostra. Visión sincrética de la novela latinoamericana (Caracas, Fundarte, 1991, p. 54) donne l'année 1907 comme date de première publication, mais à ma connaissance il existe une édition antérieure : R. Blanco-Fombona, El hombre de hierro : novelín, Valencia, F. Sempere, 1905, 237 p.

allusions à la dictature de Juan Vicente Gómez. Certains spécialistes vont même jusqu'à classifier El reino de este mundo de Carpentier parmi les exemples de las "novelas de dictador", car qu'il évoque "la dictadura de Henri Christophe en Haití"272. Il semble clair que la "novela del dictador"

conserve une place très importante dans la production littéraire hispano-américaine au 20e siècle, que ce phénomène soit analysé au sein du roman historique ou bien, et c'est une raison pour laquelle je ferme cette parenthèse, en tant que genre littéraire à part entière.