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TROISIEME PARTIE : ECRITURES REMARQUES GÉNÉRALES

L'objet de la poétique […] n'est pas le texte, considéré dans sa singularité (ceci est plutôt l'affaire de la critique), mais l'architexte, ou si l'on préfère l'architextualité du texte (comme on dit, et c'est un peu la même chose, "la littéralité de la littérature"), c'est-à-dire l'ensemble des catégories générales, ou transcendantes – types de discours, modes d'énonciation, genres littéraires, etc. dont relève chaque texte singulier

Gerard Gernette350

Pour faire suite à mes réflexions sur les réinventions et les relectures au carrefour des influences historiques et littéraires, je me propose à présent de construire une poétique du nouveau roman historique, comme modèle générique de l'écriture – et de la lecture. Le terme

"poétique" est entendu ici dans son acception la plus générale, à savoir l'étude des procédés internes de l'œuvre littéraire.

Partons du principe de Robert Scholes : il nous faut une poétique du nouveau roman historique à la fois pour sa valeur intrinsèque et pour sa valeur pédagogique351. Le fait d'œuvrer à l'établissement d'une poétique distincte pour le nouveau roman historique implique qu'il soit perçue en tant que genre distinct, avec ses propres caractéristiques, ses propres problèmes et ses propres potentialités. A ce stade des réflexions, il s'avère absolument indispensable de disposer d'un corpus représentatif de textes.

Bien qu'ayant pour objectif une modalisation opératoire au sein de la littérature contemporaine j'ai, en tant qu'hispaniste, opté tout naturellement pour les romans historiques contemporains latino-américains, de préférence dans leur version originale.

350 G. Genette, Palimpstestes, Paris, Seuil, 1982. p. 7.

351 R. Scholes, "Les modes de la fiction", in Théorie des genres, G. Genette & T. Todorov (dir.) Paris, Seuil, 1986, p. 77.

Les difficultés à élaborer mon corpus furent à la fois d'ordre matériel et épistémologique. D'une part, on ne peut disposer que des romans disponibles : plus qu'un pléonasme gratuit, il s'agit ici de savoir se contenter des romans latino-américains disponibles en Europe. J'ai finalement constitué un corpus imparfait, que la bibliographie reflète fatalement, en confrontant les suggestions de Fernando Aínsa, Seymour Menton, Celia Fernández Prieto, Juan José Barrientos et María Cristina Pons avec les disponibilités réelles, tout en essayant de privilégier les romans publiés dans la dernière décennie du 20e siècle, comme étant les moins étudiés.

D'autre part, pour connaître et décrire les procédés internes du nouveau roman historique, il est nécessaire de savoir distinguer le nouveau roman historique du roman historique traditionnel et donc connaître ses procédés internes352. Voilà le paradoxe du genre, longuement discuté : pour le définir, il faut savoir comment – or, pour savoir comment, il faut le définir. La vision du serpent qui se mord la queue réapparaissait lorsque je franchissais le seuil de la Librairie Hispano-américaine à Paris : n'entendant rien au nouveau roman historique, le libraire ne pouvait me conseiller, et j'y passais de longues heures sans me décider. Mes propres incertitudes rappellent celles de Claudio Guillén face à un corpus des romans picaresques :

Pero vamos a ver, ¿cómo iba yo a otear y caracterizar un grupo preciso de novelas singulares si no disponía de entrada de esa caracterización, la cual era más bien mi objetivo, y no podía por consiguiente determinar la composición del grupo caracterizable ? ¿Quién elige las obras que están por definir, si no disponemos de una definición previa ? La circularidad del concepto definitorio es un callejón que no tiene muchas salidas353.

Lui-même en distingue deux. Du point de vue de l'auteur, le genre est pour lui une sorte de schéma choisi selon la sensibilité de son époque et appliqué consciemment, en appliquant les règles ou en s'éloignant du modèle. Voilà pourquoi le genre est un concept mobile comme le procès

352 C. Fernandez Prieto témoigne des mêmes scrupules quant à sa méthode hypothético-déductive et son rapport avec le corpus (Cf. C. Fernandez Prieto, op. cit. p. 168).

353 C. Guillén, Entre el saber y el conocer. Moradas del estudio literario, Valladolid, Universidad de Valladolid, 2001, p. 52.

de sa structuration ainsi que les différents usages que les écrivains en font.

Du point de vue du critique, le genre est un modèle théorique créé selon ses besoins et appliqué à des ouvrages choisis. Ainsi le modèle théorique devient un processus critique. J'ajouterai à cela une troisième voie : celle du lecteur, pour lequel un genre littéraire est une sorte de porte plus ou moins ouverte, selon sa culture générale et ses habitudes de lecture, qui lui permet d'explorer l'univers d’un texte en suivant un guide générique, un Michelin postulé par Guillén.

D'où, dans les pages à venir, ma prédilection pour les questions du pacte de lecture : chaque fois que je commente les stratégies adoptées et les difficultés rencontrées par le lecteur, je me rappelle en effet les miennes. Mais grâce aux derniers conseils de Seymour Menton qui a bien voulu répondre à mes questions, j'ai réussi à compléter ma liste de lectures en respectant trois indices génériques fondamentaux :

o localisation de la diégèse dans le passé historique identifiable comme tel pour le lecteur ;

o relecture démystificatrice du passé, à travers sa réécriture anachronique, ironique, parodique ou grotesque parmi les stratégies possibles, avec comme éventualité l'invention du passé, le déguisement du passé ou la recréation du passé ;

o procédés métafictionnels et intertextuels quant aux modalités de l'écriture.

J'ai parcouru une centaine d'ouvrages et en ai retenu environ soixante-dix, avec la profonde conviction de mélanger les esthétiques et de placer des romans réellement novateurs parmi des textes plus classiques. Puis j'ai élaboré ma grille de lecture adaptée aux besoins du nouveau roman historique afin de détecter ses indices génériques. J'avoue avoir douté de l'utilité de mon travail pendant toute cette période : plus d'une fois, la notion du nouveau roman m'a semblé devenir artificielle et vague, et plus d'une fois j'ai regretté de m'être accrochée vainement à l’idée d'un modèle théorique.

Aujourd'hui je suis plus optimiste. A mon avis, la notion du nouveau roman historique est tout simplement plus répandue en Amérique qu'en Europe. Je l'ai constaté notamment grâce à Fernando Reati qui m'a envoyé son livre Nombrar lo nombrable accompagné de plusieurs articles.

Durant la lecture, j'ai remarqué avec bonheur que lorsque dans un article écrit en 1998 il mentionne "la nueva novela histórica, un subgénero hoy prolífico", Reati ne juge même pas utile de préciser quelles sont les spécificités du nouveau roman historique par rapport au roman historique tout court, comme si ce nouveau roman historique jouissait déjà d'une existence propre354. En mars 2003 : lors d'un colloque international à Lorient, Amelia Royo de l'Université de Salta en Argentine fit une communication sur La reescritura como instancia de la tradición literaria où elle mentionnait le nouveau roman historique, elle aussi avec beaucoup de naturel et sans entrer dans les détails. A ma question sur les marques distinctives du nouveau genre, elle souligna uniquement la dimension parodique du roman par rapport à d'autres textes sources – et surtout par rapport à la vision officiellement admise du passé. Tel est, me semble-t-il, le trait le plus important du nouveau roman historique : son caractère volontairement parodique, et cela dans plusieurs pays, plusieurs cultures et plusieurs langues. Quant aux traits génériques, nous allons les commenter dans les pages à venir. Toutes les références des titres cités sont reprises dans la bibliographie, afin de ne pas alourdir inutilement le texte.

354 F. Reati, "Fronteras y ghettos del “futuro” en la política ficción argentina", in Hispamérica, año XXVII, n° 79, 1998, p. 3.

Chapitre I